Historique
La jurisprudence française, depuis 1876 (Civ. 6 mars 1876, Canal de Craponne) a toujours refusé d'instaurer la théorie de l'imprévision en droit des contrats, théorie pourtant bien connue en droit administratif.
En effet, guidée par le besoin de sécurité juridique et la force obligatoire du contrat, elle a toujours réfuté l'immixtion de l'arbitraire du juge dans le contrat, même aux fins de rétablir une certaine équité entre les parties.
Malgré quelques infléchissements prétoriens en matière commerciale, c'est le législateur qui est venu prendre le contre-pied de la jurisprudence traditionnelle, guidé par les principes d'équilibre et d'efficacité.
En vertu de l'article 1195 introduit dans le code civil par l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016, entrant en vigueur le 1er octobre 2016, « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.
En cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe. »
Conditions
Changement de circonstances « imprévisible » au moment de la conclusion du contrat
L'imprévision est subordonnée à un bouleversement du contrat postérieur à sa conclusion et altérant son exécution.
Un tel changement ne doit pas avoir pu être prévu en amont par les parties, au moment où elles ont échangé leurs consentements. Dès lors, l'imprévision ne pourra être retenue que dans la mesure d'une dénaturation contractuelle que les parties n'ont pas pu raisonnablement anticiper.
Refus par les parties d'assumer le risque du déséquilibre contractuel
Afin de qualifier un tel déséquilibre contractuel d'imprévision, il est nécessaire qu'aucune des parties au contrat n'ait décidé d'en assumer le risque par le biais d'une clause. En effet, ce faisant, les parties au contrat auraient accepté l'existence d'un aléa économique, ce qui aurait conduit à chasser toute possibilité pour elles de se prévaloir de tout bouleversement contractuel anormal.
Exécution du contrat « excessivement onéreuse »
La dernière condition à laquelle est subordonnée l'imprévision est celle de l'onérosité excessive de l'exécution du contrat pour l'une des parties. Cela signifie qu'il ne s'agira pas pour la partie concernée de démontrer que l'exécution du contrat est simplement devenue difficile, elle devra en effet prouver que le bouleversement excessif dont elle se prévaut est exceptionnel.
Effets
Absence de suspension des obligations contractuelles
La partie qui s'estime victime d'une exécution contractuelle devenue excessivement onéreuse peut demander à son cocontractant une renégociation du contrat, mais elle ne peut pas décider de suspendre ses obligations.
Dès lors, pendant la durée de la renégociation, la partie lésée ne peut échapper à ses obligations. Cette disposition a pour but d'éviter les contestations dilatoires.
Intervention du juge
Priorité est donnée à la renégociation du contrat entre les parties. Ce n'est qu'en cas d'échec que le juge pourra intervenir.
En cas d'échec ou de refus de la renégociation du contrat, les parties peuvent convenir ensemble de sa résolution. Elles peuvent également saisir le juge afin de procéder à sa révision ou à son anéantissement.
La théorie de l'imprévision est une dérogation à la force obligatoire du contrat dans la mesure où le juge peut désormais s'immiscer dans l'accord qui avait été prévu par les parties afin de le rééquilibrer.